Jouer à se déguiser pour exorciser les peurs, rire et traverser le monde, tous les mondes.
C’était moins pour amuser la galerie, faire fondre les cœurs d’artichaut des ascendants, recueillir des like et des sucreries qu’on se glissait avant dans la peau d’horribles personnages, les plus repoussants, les moins accueillants que pour faire peur aux mauvais esprits, les faire fuir cette nuit d’Halloween où la frontière entre le monde des vivants et celui des morts s’évanouit.
Intéressant de penser alors à cette fonction répulsive de ce costume qui de nos jours tient davantage à exorciser et ridiculiser les angoisses de mort et les plus vils instincts qu’à signifier la nécessité d’un dialogue avec les absent·es pour toujours.
Le déguisement comme pare-feu à la folie, le déguisement comme laisser-passer pour d’autres dimensions, le déguisement comme passe-droit à des excès en tous genres, autorisés le temps d’une fête dont on a oublié les origines celtiques.
Exagéré, scénarisé, ce rapport à un habit performatif révèle en sous-main autant sur nos vêtements anodins de tous les jours. Sur ce que nous nous autorisons ou pas, les mascarades homologuées, les panoplies pour rassurer et perpétuer un ordre que l’on croit immuable mais qui limite les explorations salvatrices et les innovations libératrices.
Les sorcières, chauve-souris et autres vampires en polyester mal taillés, qui grattent et ne survivent que trop peu à une après-midi agitée pourraient être mis·es au placard, et être remplacé·es par des monstres sortant tout droit de l’imagination des enfants.
Quel meilleur moment en effet, que cette célébration pour revenir aux fondamentaux et discuter avec elleux de ce qui leur fait vraiment peur, et non les idées reçues ou encore nos angoisses d’adultes ?
On serait surpris de leur capacité à observer, appréhender le monde, leur monde avec autant d’acuité et de clairvoyance qui nous font défaut si souvent. Le propos ici n’est pas d’ériger les enfants en sauveur·ses de l’humanité (encore que) ou de les angéliser mais de leur faire confiance et d’écouter ce qu’ils et elles ont à dire et ce dès leur plus jeune âge.
À l’annonce de nouvelles mesures pour lutter contre la COVID-19, un enfant de six ans a demandé s’il avait assez de pompier·ères pour couvrir le feu.
Pendant le confinement, au printemps dernier, on a vu naître des super-héro·ïnes anti-coronavirus.
Avons-nous seulement pris la peine de leur expliquer l’utilisation du masque ? Et de discuter avec elleux de comment s’exprimer, communiquer différemment quand la bouche et le nez sont camouflés ?
La peur est un sentiment si puissant qu’elle ne peut rester sans moyen d'expression. Halloween, plutôt que s’enfiler des bonbecs jusqu’à plus soif et des navets à nous couper l’envie de retrouver les bras de Morphée, est en cela depuis toujours une occasion idéale pour explorer des continents enfouis dans l’imagination et la sensibilité des enfants.
Ce n’est pas une attaque de citrouilles qui les effrayerait aujourd’hui mais davantage un câlin avec les grands-parents car potentiellement parasité par un virus aussi invisible qu’imprévisible ou des adultes sans nez et sans bouche (« Et pour respirer ? Si on peut pas, on meurt ? ») digne d'un épisode de Fringe.
Alors plutôt que de succomber aux démons du marketing, pourquoi nous petit·es et grand·es ne jouerions nous pas à être Mary Shelley ? Nous pourrions inventer et donner vie - avec des habits - à des créatures qui nous feraient voyager dans des dimensions parallèles et dialoguer avec nos peurs les plus inavouables. Mieux encore, celles-ci auraient le pouvoir de faire revenir celleux qui nous manquent le temps d’une fête ou pour le reste de nos vies en empruntant leur garde-robe que nous avions mise sous vide en attendant un souffle nouveau.
Les habits ont ce pouvoir là aussi de ramener à l'envie et de nous glisser dans d’autres vies.
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