... ou l'art du déguisement en politique
L’UNIFORME, LA TENDANCE DU MOMENT
C’est à la mode. Tout le monde en parle, tout le monde en pense quelque chose et y va
de son anecdote ou avis personnel. Ce qu’on en lit dans la presse ne donne pas davantage
de corps au débat qui limite trop souvent la question à son coût, au made in France et à une instrumentalisation politique. Évidemment « combien ça coûte ? », « comment et où c’est fabriqué ? » ou « quelle urgence à expérimenter pour sauvegarder une école accueillante
et compétente ? » sont des questions légitimes au regard des enjeux actuels auxquels l’Éducation nationale doit répondre : l’égalité des chances, la réussite des élèves et donc plus largement la construction d’une société épanouie et épanouissante pour chaque personne qui en est partie prenante. On imagine alors qu’il s’agit du contenu des programmes scolaires,
du budget alloué au ministère dédié, des moyens mobilisés pour l’enseignement et l’amélioration des conditions d’accueil et d’apprentissage, des porjets d’innovation pour préparer les élèves aux changements climatiques et économiques. Il n’en est rien.
Ce qui fait la Une des journaux, ironie du sort, en pleine Fashion Week, c’est le look des écoliers et écolières de la prochaine rentrée scolaire.
Sources media : BFM.TV / Konbini news
L’ÉCOLE, LA MODE : TOUT EST POLITIQUE
On en demande beaucoup à ces quelques métrages de tissus. Mais nous sommes en France et nous savons mieux que quiconque combien le style vestimentaire des revendications importe : des Sans-culotte aux Gilets jaunes, notre exception culturelle française ne s’affranchit pas des codes de la mode. Bien au contraire.
Derrière ce qui peut apparaître comme une coquetterie, nous souhaiterions partager
avec vous une réflexion, qui nous l’espérons, augure par la même une pensée collective fédératrice, autant au sein de la communauté pédagogique qu’auprès des professionnel·les de l’habillement et du textile que de la recherche. Car il s’agit dans cette histoire de chiffons, de l’idée que la vêture des élèves participerait à notre capacité au vivre-ensemble, à faire société dans une époque charnière. Ce qui se trame dans nos écoles, ces premiers lieux de socialisation véritable, même si la carte scolaire a des jokers dans sa doublure, serait la volonté - ou non - de faire corps à partir de nos secondes peaux avec à la fois un socle culturel commun et nos différences qui devraient n’être et faire naître qu’une source d’enrichissements mutuels.
C’est un projet hautement politique dont nous voyons les coutures. Nous pourrions nous réjouir de cette volonté, si elle ne se réduisait pas aux cours de récréation avec cette peau
de chagrin que représente cette tenue commune. Si elle concernait toutes les strates de notre société, pas uniquement les enfants dont nous voulons paradoxalement et simultanément maîtriser toutes les étapes de la vie et les invisibiliser dans les nôtres. Or, il n’en est quasiment rien. Et les arguments qui sont formulés pour « vendre » l’idée, sont très contestables.
En effet, cet uniforme qui ne dit pas son nom, excepté à Béziers, doit tout à la fois :
« renforcer la cohésion entre les élèves et favoriser un sentiment d’appartenance
à un établissement, améliorer le climat scolaire, créer une atmosphère de travail et d’égalité, permettre de s’épanouir au sein d’une école à l’abri de toute forme d’inégalités et de prosélytisme, respecter la laïcité, un retour à l’ordre et à la discipline et être un outil
pour lutter contre le harcèlement ». Pourquoi avoir attendu 2024 pour instaurer la tenue vestimentaire commune si ce costume avait des pouvoirs magiques dignes des super-héros de comics books ?
Certes, tout·e fashionista, expert·e de l’industrie de l’habillement ou encore historien·ne ou sociologue du vêtement vous dirait à juste titre que les habits ont de nombreuses vertus.
Mais la magie n’a que peu à voir avec cela. Prenons le simple argument que l’uniforme
ou tenue vestimentaire commune gommerait le règne de l’apparence et mettrait tous les élèves au même niveau sans possibilité de distinction. Ce serait faire affront à Pierre Bourdieu mais aussi nier les trop peu d’études[1] qui existent dans la littérature spécialisée sur les impacts des uniformes.
L’uniforme à son origine participait, et participe encore à la distinction et au jeu
des représentations sociales et d’appartenance aux établissements. D’ailleurs, quand dans
les textes officiels, il est fait mention que « la définition du trousseau sera définie localement, au cas par cas et « en dialogue » avec la communauté éducative locale », nous sommes loin d’une tenue républicaine unique et de la volonté d’effacement d’appartenance. Ou alors, interrogeons-nous : « à quel groupe, a-t-on le droit d’appartenir ? », « à quel groupe est-il plus acceptable et accepté d’appartenir socialement ? ».
LE DÉBAT SUR L’UNIFORME, UNE OPPORTUNITÉ À SAISIR
Aussi, à la lecture du cadre posé pour le Conseil national de la refondation, initialement prévu pour accompagner les innovations pédagogiques des établissements scolaires,
et qui pourrait être en appui financier de ces derniers pour soutenir l’avènement des tenues communes, nous nous plaisons à réfléchir à une idée qui nous permettrait de nous libérer
de ce serpent de mer tout en essayant de trouver des solutions concrètes aux problèmes bien réels de l’école.
Pour s’appuyer sur l’une des ambitions de ce même Conseil, qui est l’élévation des résultats par l’amélioration du climat scolaire, comment le vêtement - plus largement que l’uniforme
ou l’image que l’on s’en fait - à l’école pourrait participer à cet objectif ?
Reprenons le début de cette histoire et partons de cette question si évidente et fondamentale qu’elle n’est plus aujourd’hui consciente dans nos esprits : « pourquoi nous habillons-nous ? ». Sans entrer dans les détails de la vie de chacun·e, nous suivons ces trois impératifs : par pudeur, pour se protéger, pour se parer. Ces trois aspects de notre habitude à nous vêtir s’équilibre quotidiennement, de façon variée en fonction de nos activités du jour, de notre état d’esprit, qu’importe notre appétence pour la mode, la taille de notre dressing et notre héritage culturel. Que nous suivions ou non les tendances, nous sommes plus ou moins sensibles aux comportements de consommation qui traversent notre société. Pour ne prendre que l’exemple du Jeans qui était en premier lieu, un vêtement de travail destiné aux fermiers, mineurs et ouvriers ou encore celui des Baskets, qui sont désormais autorisées à entrer dans les Clubs, les entreprises et les écoles (à l’exception de Stanislas) et qui chaussent les pieds de toutes et de tous.
Intéressant à ce point de noter, que les chaussures ne font pas partie de la tenue commune alors que nous savons à quel point c’est un signe distinctif d’appartenance. Quid aussi du manteau, de la tenue de sport, de la saisonnalité des vêtements ? Quid du cartable,
de la trousse, du cahier de texte ? Autant d’éléments distinctifs au sein d’un groupe qui participent à l’inclusion dans celui-ci. Sans parler des accessoires. Avec cette liste à la Prévert, nous comprenons l’ampleur de la tâche et nous savons que cette tenue ne pourra pas tout résoudre.
Nous nous habillons pour participer au monde, pour être au monde, avec ou sans mot
pour accompagner notre allure. Sans l’avoir appris consciemment, parfois à nos dépends, nous savons contextualiser notre style et nous adapter. Pourquoi les enfants et
les adolescent·es feraient-ils exception ? Pourquoi penser que cette question ne les concerne pas ? Est-ce avancer qu’elles et eux ne s’inscrivent pas et ne participent pas à ce collectif
en s’habillant ? Il n’y a qu’à observer les jours de rentrée scolaire de septembre,
des ambiances de Carnaval à proximité des écoles pour ressentir la fierté communicative
et la joie d’être bien habillé et/ou déguisé des enfants pour s’assurer de l’impact
des vêtements sur l’atmosphère. Dans ce cas, quels messages envoyons-nous aux enfants quand nous leur proposons des vêtements sombres (« sobres » dixit les adultes) sous prétexte d’éliminer les différences ? Aller à l’école ne devrait-il pas être une fête ? Donc être accompagnée ou soutenue par une garde-robe colorée ? Et s’il n’était pas juste question de goût mais des qualités « de confort et de mixité » revendiquées par cette tenue vestimentaire commune, que dire des propositions de coupe de vêtements ? Ces pantalons droits sont-ils adaptés à toutes les morphologies, à tous les niveaux d’autonomie et de développement des enfants ? Au regard de notre expérience et engagement sur le terrain[2], nous connaissons d’ors et déjà la réponse.
Si nous tirons le fil, qu’exprimons-nous une fois encore inconsciemment à nos jeunes générations ? De se fondre dans le moule ? De disparaître dans la foule ?
Source : http://uniformemadeinfrance.fr
N’y aurait-il pas davantage à apprendre à exister par-delà les apparences plutôt qu’essayer de les nier, de les cacher ? C’est illusoire et très risqué dans leur apprentissage de la vie.
D’ailleurs, enfants et adultes ne portent-ils pas déjà des uniformes ? En fonction des zones géographiques et socio-économiques, ils diffèrent mais ils participent à la même finalité :
se faire accepter. Jogging/baskets ou chino/mocassins : même combat, l’intégration
et la reconnaissance du groupe. Style et uniforme que nous retrouvons dans toutes les strates de la société. L’originalité sans être excentrique n’a jamais été à la mode dans l’Hexagone,
il n’y a qu’à regarder la chimérique Parisienne si bien décodée par la journaliste Alice Pfeiffer[3], pour se rendre compte que si nous pouvons nous enorgueillir de savoir-faire patrimoniaux et d’une Haute Couture unique au monde, nous restons dans nos petits souliers car effrayés par le risque du fameux fashion faux pas qui retourne sa veste en un éclair.
LE LANGAGE DES HABITS POUR SE CONSTRUIRE ET DÉCOUVRIR LE MONDE
Dans ce contexte si pointilleux, ne serait-il pas plus judicieux d’apprendre le langage des vêtements pour grandir sereinement et découvrir une mine de savoirs et savoir-faire que
de taire toute tentative d’expression et d’exploration par le textile ? Au Studio Abi,
association qui promeut l’éducation textile, nous nous proposons plutôt que d’avoir ce caillou dans la chaussure, de tirer le fil de cette opportunité pour remettre l’école au centre du village et lui donner la plus belle occasion de proposer des codes à la nouvelle génération, sans lui imposer.
En cela, nous nous étonnons qu’aucune initiative jusque-là n’ait, à notre connaissance,
vu le jour pour engager les élèves dans la réflexion de leur tenue. Ne sont-ils pas les premiers à savoir ce dont ils ont besoin. D’autant que leurs motivations pour s’habiller et aller à l’école diffèrent, à raison, selon leurs âges. Intéressant de souligner combien dans ce débat national, la voix des enfants reste inaudible, à l’heure où se multiplient les conseils d’enfants et que leurs droits trouvent un écho régulièrement dans l’actualité.
Quelle image de la société présente et à venir plaquons-nous sur ce sujet ? Quelle place aux enfants, à la jeunesse donnons-nous, souhaitons-nous véritablement ? Que disent-ils de nous, ces enfants qui ne sont pas habillés selon leurs besoins mais pour pallier aux manquements d’une nation qui semble déshabiller Pierre pour habiller Paul ?
Ce projet, de notre point de vue, est une parfaite illustration d’un oubli fondamental dans notre éducation : le rôle et la place du textile et plus précisément des vêtements. En effet, alors que nous sommes tous et toutes liés par cette règle tacite de nous présenter habillé, alors que nous savons que l’habit ne fait pas le moine mais que la première impression est souvent la bonne, nous prenons le vêtement comme un objet fini, sans origine, sans valeurs. Trop peu de gens ont reçu cet enseignement si précieux de la couture, de la broderie, de la teinture,
du patronnage, du filage, etc. Trop peu de gens connaissent encore les savoir-faire, reconnaissent les matières premières de nos textiles. Trop peu de gens savent quel impact écologique la fabrication des vêtements a. C’est aujourd’hui un luxe, c’est même pour beaucoup le territoire du luxe. Et pourtant, nous avons tous et toutes des histoires avec notre dressing.
Aussi, quand on sait que l’industrie textile fait partie des cinq secteurs les plus polluants
au monde, comment ne pas considérer la nécessité d’en savoir plus sur ce que nous portons
à même la peau ? Comment vouloir mieux consommer sans sensibilisation ni éducation ?
L’EDUCATION TEXTILE À L’ŒUVRE POUR CHANGER LE MONDE (ET LA MODE)
Le Studio Abi, que nous avons fondé, il y a quatre ans désormais en Seine-Saint-Denis,
a développé une véritable éducation textile. Dans les écoles auprès des élèves et enseignant·es, dans les crèches avec les personnels encadrant, les enfants et leurs parents, nous accompagnons l’exploration sensorielle et technique des habits, objets de notre culture matérielle. Dans le cadre d’ateliers créatifs sur-mesure, de journées d’études, de groupes
de recherche avec les professionnel·les du secteur textile, designers, anthropologues, nous construisons et éprouvons une méthodologie innovante qui démontre comment les vêtements sont sources de connaissances et de découverte du monde mais aussi de formidables outils pour se construire et ce dès le plus jeune âge en dehors des diktat d’une mode encore si peu inclusive et réellement inventive.
Nous démontrons que l’éducation textile a ce pouvoir de changer la mode et le monde
de demain. En apprenant les différentes matières premières, les techniques de fabrication,
en valorisant les savoir-faire, les métiers d'art mais aussi l’histoire de nos vestiaires et leurs géographies, nous redonnons de la valeur à nos habits, affective, esthétique et économique.
Nous œuvrons pour que cette éducation textile participe à ce que nomme Sophie Marinopoulos « la santé culturelle » pour tous et toutes[4]. Nous pensons que les habits
qu’ils soient costumes d’apparat, vêtements de travail ou même uniforme, participent à notre connexion au monde et à une culture commune traversée par des références partagées.
En ce sens, les vêtements destinés aux enfants et aux jeunes jouent un rôle fondamental
dans leur appétence à la curiosité, à la créativité, à l’ingéniosité. Comment imaginer ouvrir
le champ des possibles aux plus petits quand leur environnement visuel dont vestimentaire
est limité à des coloris binaires et saturé de personnages de licences de dessins-animés ou de blockbusters américains dont on pourrait interroger la pertinence des contenus à ces jeunes âges ?
Chaussons dans une maternelle en région Centre-Val-de-Loire. 2023
(Même observation faite en région parisienne, également sur les sacs et cartables, manteaux, bottes, pulls et bonnets)
Dans le cadre du Conseil national de la refondation qui appelle de ses vœux : « notre école faisons là ensemble », pourrions-nous envisager la consultation des enfants, de leur donner une voix, correspondant à leurs besoins différents qu’ils soient en classe primaire ou en classe préparatoire ?
Ce sujet d’une tenue vestimentaire commune n’aurait-il pas vocation à valoriser l’image de l’école ? Et de la connecter délibérément au reste de notre société ? Ne participe-t-elle pas déjà à la souveraineté économique, au futur du travail, à la santé, à la sensibilisation au climat & biodiversité ?
Au Studio Abi, fort des travaux déjà menés[5] et en cours que l’égalité des chances passe
par un accès transversal et diversifié à la culture ; par des références renouvelées, partagées, par une pratique artistique décomplexée, par des explorations scientifiques et surtout par
la capacité à s‘émerveiller. Pourquoi attendre le collège pour rendre visible les métiers et donc les techniques liés à la fabrication des vêtements ? Les enfants de l’école primaire répondent
à 90% quand on leur pose la question « d’où viennent vos habits » : « du magasin, du placard ». Et lorsque nous poursuivons le raisonnement, ils sont incapables d’imaginer une origine animale ou végétale de leurs vêtements. Quel avenir construire quand le monde ressemble à une boîte en plastique ? Au Studio Abi, notre hypothèse de départ, aussi naïve soit-elle est que le tissu et le vêtement en particulier, sont des media sensoriels exceptionnels accessibles à toutes et tous, représentant un sésame parfait pour être au monde.
TIRER LE FIL DES POUVOIRS DES HABITS GRÂCE À L’ÉDUCATION TEXTILE
L’éducation textile telle qu’elle est pensée, de manière empirique par le Studio Abi est une approche holistique qui vise à considérer nos liens au textile, tant du point de vue de sa matérialité que de ses pouvoirs multiples d’évocation, de transmission, de communication,
de création. Nos liens au textile, historiques, artistiques, esthétiques et même politiques définissent notre identité et notre rapport au monde. Cette éducation textile est une entrée
en matière dans l’histoire des vêtements, une façon de découvrir l’origine des tissus,
les techniques de fabrication qui sont autant de savoir-faire patrimoniaux, et une invitation
à l’exploration sensorielle à travers la pratique artistique.
L’éducation textile dès le plus jeune âge a pour vocation d’ouvrir des espaces d’expressions originales et vivantes puisant à la fois dans les identités culturelles diverses et un patrimoine commun. L’éducation textile est également fondamentalement traversée par un souci écologique, indissociable d’un changement de paradigme nécessaire, solidaire et durable.
L’éducation textile est une formidable occasion d’écrire et de vivre une histoire de l’art plus inclusive, de mettre en lumière des œuvres d’art encore trop peu considérées et absentes
de la culture légitime, qui participeraient à sensibiliser de nouveaux publics à l’art et à inviter à la création artistique.
Enfin, l’éducation textile au même titre que l’éducation alimentaire participe à développer
des savoirs et des sensibilités, de nouvelles méthodes de partage et de transmission au service des générations futures.
Dans les ateliers, les formations, les conférences du Studio Abi, le questionnement, l’exploration, la création à partir des tissus révèlent sans exception des talents cachés,
des liens affectifs, des savoir-faire inspirants, des références culturelles intarissables et accueillantes. Ce constat du champ des possibles éducatifs élargi grâce à l’éducation textile
a été mis en lumière au musée en 2023. Dans le cadre de l’exposition « S’habiller pour l’école » au Musée national de l’éducation – réseau Canopé, dont les commissaires étaient Aude Le Guennec et Nicolas Coutant, le Studio Abi a eu l’honneur de présenter les premiers résultats de son travail et le potentiel qui reste à explorer dans le cadre scolaire mais pas uniquement.
Autant d’activités artistiques, scientifiques, individuelles et collectives dans le cadre des ateliers en milieu scolaire (classes maternelles et élémentaires) proposées et encadrées par le Studio Abi.
Selon les textes officiels, l’adoption d’une tenue vestimentaire commune viserait avant tout à
« renforcer la cohésion entre élèves et à améliorer la climat scolaire », car « susceptible de créer une atmosphère de travail et d’égalité au sein de l’établissement » et de contribuer
« au sentiment d’appartenance ». Cette tenue devrait également permettre aux élèves de
« s’épanouir au sein d’une école à l’abri de toute forme d’inégalité et de prosélytisme ».
Au Studio Abi, au regard de ce que nous observons dans les ateliers, et ce que nous partageons avec les élèves mais aussi les enseignant·es du côté éducatif et avec les professionnel·les du côté du secteur de l’habillement, nous osons lancer l’idée aussi
saugrenue que nécessaire d’un concours national pour renouveler les codes de l’uniforme - surtout si nous ne souhaitons pas l’appeler ainsi. Qu’aurions-nous à perdre, que risquerions-nous à se lancer dans cette aventure créative[6] ?
Ne serait-ce pas ainsi une meilleure occasion de donner accès à l’histoire de la mode,
de valoriser l’art textile et ses artistes, de partager ainsi un socle commun de connaissances
et de compétences tout en sensibilisant au design dès le plus jeune âge dans une optique renouvelée des enjeux et des domaines de prédilection ; mais aussi de faire connaître une variété de métiers, indispensable au moment de s’orienter pour sa future vie professionnelle. Imaginer une tenue vestimentaire adaptée aux élèves pour les activités à l’école, en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire est l’assurance de s’émerveiller ensemble tout en aiguisant son esprit critique, de réfléchir de façon constructive aux codes vestimentaires aujourd’hui qui nous séparent plutôt qui nous rassemblent et de le mettre en perspective historique, d’innover en pédagogie et d’impliquer la communauté éducative pour révolutionner, rien que cela, l’image de l’uniforme, sans copier un modèle anglo-saxon
qui ne correspond pas à notre histoire ou s’inspirer d’un passé fantasmé en blouse !
Vaste programme, mais faire société en est un. Le rapport à l’uniforme est le même que le rapport au vêtement, personnel, mouvant, culturel, si lié à notre état d’âme, au contexte, aux stades de nos vies. Néanmoins, nous savons aujourd’hui, au regard de ce débat, mais aussi des dégâts humains et écologiques liés à la fast fashion que s’habiller est une question politique autant qu’une question économique et culturelle[7].
Les adultes ont jusqu’ici démontré leur incapacité à proposer des alternatives créatives satisfaisantes. Que risquerions-nous à faire appel au détournement, talent premier des enfants lorsqu’ils découvrent, explorent, et à leur imagination débordante quand nous les laissons faire ? De nous retrouver dans une cour d’école qui ressemblerait à un grand Carnaval chamarré faisant référence peu ou prou à une fashion week pour toutes et tous, dans laquelle les élèves seraient heureux de jouer et d’apprendre, de découvrir libres de leurs mouvements dans des vêtements faits pour eux, par eux, avec eux. C’est au Studio Abi, tout ce que nous espérons et ce à quoi nous œuvrons. L’appel est lancé pour celles et ceux qui voudraient être de la partie.
Notes : [1] « Des résultats statistiquement pertinents ont été publiés par le chercheur américain David Brunsma, en 1998, dans The Journal of Educational Research. En contrôlant les autres paramètres (dont l’origine sociale), cette étude a démontré l’inexistence, sur une durée de dix ans, d’effets significatifs de l’uniforme sur les résultats scolaires, l’assiduité et les problèmes de comportement. Une autre étude, menée par le chercheur Arya Ansari à l’université d’Etat de l’Ohio et publiée en 2021 dans la revue Early Childhood Research Quarterly, a démontré un « sentiment d’appartenance à l’école » plus faible chez les élèves défavorisés portant l’uniforme que chez ceux qui n’en portaient pas, sans qu’il soit possible d’expliquer ce résultat, même si l’hypothèse d’une « affirmation de soi » à travers la mode, que l’uniforme rend impossible, a été avancée. » Extraits de l’article Pas de consensus scientifique sur la tenue unique par Violaine Morin paru dans le Monde daté du 17 février 2024.
[2] Le Studio Abi participe depuis 2021 à la Cité éducative des Quatre-Chemins de Pantin, en Seine-Saint-Denis, où il anime des ateliers avec des groupes passerelle Grande section de Maternelle – Cours préparatoire, représentant plus de 400 élèves et une trentaine d’enseignant·es sensibilisé·es à l’éducation textile.
[3] Alice Pfeiffer, Je ne suis pas parisienne, Stock 2019.
[4] Manifeste du Studio Abi de janvier 2022, en réponse au rapport de Sophie Marinopoulos au Ministre de la Culture – mission « Culture petite enfance et parentalité », intitulé Une stratégie nationale pour la Santé Culturelle : promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien à son parent (ECA-LEP). https://www.studioabi.fr/post/et-la-santé-culturelle-surtout
[5] Entre autres, les projets TELL ME 1 et TELL ME 2 conçus et menés avec le Docteur Aude Le Guennec et la designer Laetitia Barbu, dans le cadre du groupement de recherche scientifique ACORSO et plus spécifiquement IN2FROCC. https://acorso.org/in2frocc-enfance-et-vetements/
[6] « La créativité, n’est-ce pas l’intelligence qui s’amuse ? », Albert Einstein.
[7] Le 14 mars 2024, l’Assemblée nationale française a examiné, première au monde, un projet de loi visant à limiter l’impact de la fast fashion.
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