S’habiller pour apprendre et grandir ou comment l’éducation textile œuvre à l’émancipation des élèves.
Si en mars 2020, lors de la création de l’association, nous pensions que trois années plus tard, le Studio Abi serait invité par le Musée national de l’éducation – MUNAÉ – à Rouen dans le cadre de l’exposition « S’habiller pour l’école » à présenter dans la partie prospective, sa méthodologie d’éducation textile ainsi qu’une sélection d’œuvres créées par les élèves, nous aurions été incrédules. Mieux encore, il nous a été fait l’immense honneur de pouvoir rédiger l’article de conclusion du catalogue de l’exposition et ainsi de promouvoir les premiers résultats des projets de recherche-action que nous menons sur le terrain. Nous avons le plaisir, ici de le partager avec vous.
Nous vous souhaitons une excellente lecture/visite.
Photos de l'exposition "S'habiller pour l'école" au MUNAE, Présentation du Studio Abi.
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« S’habiller pour l’école » n’a jamais été un acte anodin ou circonscrit à une mode.
Cette exposition montre à quel point l’habillement des élèves est l’une des préoccupations centrales des adultes impliqués dans leur éducation. Mais avons-nous jamais pensé à la façon dont les enfants se vêtiraient si les « grands » ne s’en mêlaient pas ? Auraient-ils l’idée d’imaginer un uniforme pour gommer les différences, de rédiger un règlement pour exclure certaines pièces du vestiaire, ou encore fêteraient-ils carnaval à l’école ? Les élèves semblent sensibles aux codes vestimentaires qui régissent notre monde.
Mais comment, et à partir de quel âge ?
Le textile ayant perdu de sa valeur économique et émotionnelle dans nos sociétés, il n’est pas appréhendé comme un medium possible d’apprentissage. Malgré les recommandations
des guides ressources maternelle d’Eduscol[1] qui promeuvent l’organisation d’un espace dans la classe avec des costumes et accessoires, ceci n’est que peu suivi. Pourtant, ce jeu d’imitation libre, adoré des plus jeunes enfants, est reconnu pour ses nombreuses qualités pédagogiques.
C’est à partir de ce constat que le Studio Abi a été créé début 2020 à Pantin, au cœur
d’un territoire riche par sa diversité culturelle et son histoire industrielle textile où les grandes maisons de savoir-faire que sont Hermès, Chanel, la Compagnie française du bouton
et des initiatives originales comme la Réserve des arts, spécialisée dans le réemploi
de matériaux pour les professionnels de la culture, côtoient une population mixte et très jeune.
Dans cet environnement unique, à quelques encablures de Paris, le Studio Abi fait le pari de donner à voir cette seconde peau constituée par nos habits, comme un outil pédagogique accessible aux élèves pour se construire et découvrir le monde. À travers des ateliers d’éveil sensoriel, de pratiques artistiques et d’expérimentations techniques, les jeunes générations entre 3 et 9 ans sont invitées à s’intéresser à leur vêture, non du point de vue de la mode mais des matériaux, des savoir-faire ou encore des rituels vestimentaires.
Les enfants découvrent ainsi que leurs vêtements ont des pouvoirs – de protection, de parure, de pudeur – et cela éveille leur curiosité et leur soif d’apprendre. Ils comprennent que ces bouts de tissus cousus que nous portons au quotidien, sont de formidables dispositifs pour passer de la théorie à la pratique.
Nos partenaires institutionnels, la préfecture de la Seine-Saint-Denis, la ville de Pantin, l’État
et le ministère de l’Éducation nationale ont saisi le potentiel de cette éducation textile élaborée sur mesure par le Studio Abi pour ouvrir l’école sur l’extérieur, innover et valoriser le tissu social local. Dans le cadre du programme « Cité éducative des Quatre-Chemins à Pantin », les ateliers que nous menons en milieu scolaire utilisent les étoffes pour questionner la société autant qu’affirmer et affiner les goûts personnels des élèves. Ce projet permet de tisser des liens entre eux mais également avec les enseignants, les parents et ou encore
les ATSEM (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), mettant à égalité la main, la tête et le cœur.
Comparer la douceur d’un coton à celle d’un lainage, couper dans un lé de velours chamarré pour élaborer une tunique plissée avec des poches, apprendre à broder un motif sur une toile de jute, détourner des boutons en bijoux, réaliser un patron de cape, participent à leur émancipation. L’approche singulière des élèves est motivée par leur capacité à s’émerveiller, leur imagination et leurs réalités les transforment en véritables designers en herbe.
Ils interrogent les usages et limites supposés des habits qu’ils portent et qui jusqu’alors étaient entendus comme des objets finis, sortis de leur placard. Les élèves adorent investir
les matériaux à leur disposition et acquérir des techniques de fabrication valorisant
des compétences autres que celles habituellement convoquées sur les bancs de la classe. Dans les ateliers du Studio Abi, les élèves s’amusent déjà à imaginer un futur où les textiles « intelligents » allégeraient leurs cartables mais surtout favoriseraient leur goût d’apprendre sous toutes les coutures. Aussi, envisager nos vêtures pour l’école comme un moyen, parmi d’autres, de répondre aux enjeux de l’éducation que sont l’épanouissement et l’inclusion ne nous semble pas si fou, et mieux encore, à portée de main.
[1] « Ressources maternelles, jouer et apprendre. Les jeux symboliques. Septembre 2015.
MUNAE, Exposition « S’habiller pour l’école », du 10 juin 2023 au 31 mars 2024, Rouen - France.
Commissariat : Aude Le Guennec & Nicolas Coutant.
Pour commander le catalogue :
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